Dans l’ombre des hommes : Femmes, sœurs et filles de…

Auteur : Nathalie Richard

Figure 1 :Un couple d’astronomes, Camille et Gabrielle Flammarion. Gabrielle épouse le célèbre astronome en 1919 et joue auprès de lui un rôle d’assistante et de secrétaire. Photographie non datée. Paris, Archives de la Société astronomique de la France © Société astronomique de France.

Jusqu’en 1950, les amatrices qu’il est possible d’identifier sont le plus souvent associées à un homme. Elles sont des « femmes », des « sœurs » ou des « filles de… » et illustrent en premier lieu un phénomène bien étudié par les historiens des arts et des sciences, celui des couples producteurs d’œuvres ou de savoirs. La pratique des sciences en couple permet de concilier la recherche et l’idéal qui assigne les femmes de la bourgeoisie au foyer. Elle se décline de multiples manières, chez les savants professionnels, comme chez les amateurs. Et si le couple formé par Pierre et Marie Curie constitue un contre-exemple qui peut masquer la réalité, dans la plupart des cas, la reconnaissance scientifique est asymétrique et va à l’homme plus qu’à la femme.

Le savant et son assistante

Dans beaucoup de couples savants, les rôles sont inégaux et de nombreuses épouses et filles jouent des rôles d’assistantes ou d’auxiliaires.

Dans le domaine de l’astronomie, on peut citer l’exemple de Gabrielle Renaudot (1877-1962), seconde épouse de Camille Flammarion, le fondateur de la Société astronomique de France (fig. 1). Fille d’un sculpteur reconnu et titulaire d’une licence, elle s’intéresse à l’astronomie et adhère à la Société astronomique de France en 1902. Elle épouse le célèbre vulgarisateur et astronome amateur en 1919 et assure auprès de lui un rôle de secrétaire et d’assistante pour certaines observations. Elle contribue à ses côtés à l’animation de la Société astronomique de France et à la vie de son périodique L’Astronomie. Autrice d’ouvrages, d’articles et d’illustrations d’astronomie ou d’histoire de l’astronomie, elle reste toutefois dans l’ombre de son époux.

Figure 2 : Le savant et son assistante. Miss Mary Boyle et l’abbé Breuil effectuent un relevé d’art pariétal à Ameib (Namibie), en 1950. Saint-Germain-en-Laye, musée d’Archéologie nationale, centre des archives fonds Breuil, album 4 ©  Droits réservés.

Parfois les couples ne le sont pas à l’état civil, mais résultent d’une vie savante commune. Ils sont constitués d’un savant masculin, parfois professionnel, et d’une assistante féminine bénévole jouant le rôle de petite main ou de secrétaire et vivant dans une relation quasi maritale avec le « grand homme ». L’Écossaise Mary Boyle (1881-1974) en est un exemple connu. Aspirant à une carrière littéraire, elle rencontre en 1920 l’abbé Henri Breuil, le préhistorien français le plus célèbre de son temps, et consacre le reste de sa vie à le seconder dans ses recherches (fig. 2). En France, à partir de 1924, elle donne des conférences sur la préhistoire et publie sur le sujet des brochures de vulgarisation. Mais elle est surtout une « petite main », qui aide l’abbé Breuil dans la réalisation des relevés d’art pariétal, contribue à la mise en forme et à l’édition des manuscrits, réalise des traductions. Bien qu’elle soit associée pendant plus de trente ans aux recherches du célèbre préhistorien, qu’elle discute et impose parfois des interprétations, elle n’est pas considérée comme co-autrice des publications. Mais, au contraire de nombreuses autres femmes anonymes qui ont œuvré dans l’ombre de scientifiques reconnus, au moins le nom et la vie de Mary Boyle nous sont-ils connus.

Figure 3 : Un exemple de couple d’amateurs en sciences. Marthe Péquart participe avec son mari Saint-Just aux fouilles du cromlech d’Er Lannic (Morbihan), en 1923-1925. Rennes, Laboratoire CReAAH-Archéosciences © Labo Archéosciences. UMR 6566. CreAAH / Reproduction interdite.

Couples d’amateurs en sciences

Dans d’autres couples en sciences, l’activité savante est plus équitablement répartie, si bien que des épouses et filles réussissent parfois à se faire une réputation, mais sans se faire un nom, puisqu’elles restent connues sous le patronyme de leur mari ou de leur père.

Ainsi Marthe Péquart (1884-1963), archéologue amatrice, fouille avec son époux Saint-Just plusieurs sites préhistoriques dans le Morbihan en Bretagne puis au Mas d’Azil (Ariège) (fig. 3). Entre 1915 et 1944, les époux consacrent plusieurs mois de l’année et une partie de leur fortune à leur passion pour l’archéologie. Fouilleurs amateurs, mécènes et collectionneurs, ils intègrent les réseaux régionaux et nationaux de la discipline. Ils sont tous les deux membres de la Société préhistorique française. Ils publient les résultats de leurs recherches en signant de leurs deux noms et figurent le plus souvent tous les deux sur les photographies et les films pionniers en 16 mm réalisés sur leurs chantiers de fouilles.

Figure 4 : Léon Henri-Martin (à gauche) fouille le site de La Quina de 1905 à son décès en 1936. Il y découvre en 1911 le squelette d’une femme néanderthalienne. Propriétaire du site, il établit un laboratoire à proximité, dans son domicile du Peyrat. Sa fille Germaine (deuxième à gauche) est associée dès son enfance à ces recherches et devient une préhistorienne expérimentée. Archives Henri-Martin, collection famille Bréton © Reproduction interdite.

Les couples peuvent aussi associer un père et une fille, à l’image de Léon et Germaine Henri-Martin (1902-1975) (fig. 4 et 5). Fille de l’archéologue amateur Léon Henri-Martin, qui fouille le site de La Quina (Charente) à partir de 1911, Germaine s’initie à ses côtés à la recherche préhistorique. Après le décès de son père en 1936, elle poursuit seule les recherches en reprenant les fouilles et en assurant l’animation du laboratoire du Peyrat, créé par Léon à proximité du site de La Quina et rattaché depuis 1925 à l’École pratique des hautes études. Devenue ainsi une chercheuse reconnue, dirigeant un lieu où se forment et se rencontrent de nombreux préhistoriens français et étrangers de l’entre-deux-guerres, récompensée pour ses recherches par une médaille de bronze du Centre national de la recherche scientifique, Germaine Henri-Martin n’en reste pas moins une amatrice, aux marges des institutions professionnelles. Elle n’est nommée maîtresse de recherches au CNRS qu’en 1963 à l’âge de 61 ans. Elle incarne bien la figure de « l’amatrice malgré elle » qui n’accède que tardivement, voire jamais ou post-mortem, à la reconnaissance.

Figure 5 : Henri Vallois et Germaine Henri-Martin examinent la calotte crânienne découverte à Fontéchevade (Charente). Après la mort de son père, Germaine Henri-Martin poursuit seule ses recherches et devient une préhistorienne reconnue, bien qu’elle ne soit nommée au CNRS que tardivement. Elle fouille la grotte de Fontéchevade à partir de 1937 et y découvre en 1947 des restes humains. Ces ossements sont étudiés par Henri Vallois, professeur au Muséum national d’histoire naturelle. Archives Henri-Martin, collection famille Bréton © Reproduction interdite.

 

Les femmes dans les sociétés savantes Dans l’ombre des hommes : Femmes, sœurs et filles de… 

Savoir-faire professionnels et pratiques des sciences en amatrices